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VOS
QUESTIONS
Jean Bart, le
corsaire |
Vous trouverez ci-dessous et
dans les pages suivantes un texte présentant les campagnes corsaires de
Jean Bart.
Si vous n'y trouvez pas les informations que vous
recherchez, n'hésitez pas à nous
envoyer votre question, nous y
répondrons dans les délais les plus brefs.
 L'auteur de ce texte est Patrick Villiers, professeur
d'histoire moderne et contemporaine, directeur du
Centre
de Recherche en Histoire Atlantique et Littorale (CRHAEL) de
l'Université du Littoral Côte d'Opale et auteur du livre "Les
corsaires du littoral - Dunkerque, Calais, Boulogne de Philippe II à
Louis XIV (1568-1713)", édité au Presse du Septentrion (ISBN :
2-85939-633-0).

Les illustrations ont été fournies par
le Musée Portuaire de Dunkerque, qui propose jusqu'au 3 novembre 2002
l'exposition "Corsaires à la barre". |
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Innombrables sont les livres parus sur Jean Bart,
malheureusement la plupart rivalisent en anecdotes invraisemblables. Il est
impossible de reprendre une à une toutes ces erreurs, cependant en
s'appuyant sur les archives de la Marine et les archives municipales de
Dunkerque on peut cerner avec une certaine précision la carrière
de corsaire de Jean Bart, puis celle sous l'uniforme du roi Louis
XIV.
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Le milieu
de Jean Bart |
Nous savons aujourd'hui qu'une biographie "truquée" de
Jean Bart fut fabriquée à la suite de son anoblissement. Elle fut
suivie, au XVIIIème et au XIXème siècles, par la
publication de récits et d'anecdotes largement inventées. Henri
Malo, puis A. Leymaries ont largement contribué à rétablir
une partie de la vérité historique [1]. Aujourd'hui le travail le plus solide est incontestablement
celui de Pierre Daudruy avec "Familles de la marine dunkerquoise". Selon cet
auteur, les Baert ou Bart sont clairement identifiés à Dunkerque
à partir des années 1550-60 avec Antoine Bart, aïeul de Jean
Bart, maître de pêche en 1653 puis maître d'équipage
en 1569 et 1572 sur le Lévrier, équipé par le
Magistrat pour protéger les pêcheries. On lui attribue 11 enfants,
nés de son épouse Elisabeth Noorman de 1575 à 1600.
Le
troisième de ses enfants, Jean-François, fut probablement le
premier des Bart à être capitaine corsaire cependant Michel, le
quatrième, le grand-père de Jean Bart, ne fut qu'officier sans
jamais être commandant ou patron. Un autre de ses enfants, Charles,
né en 1600, épousa en 1626 Guillemette Coffyn, fille d'un
capitaine corsaire. Les registres de catholicité montrent que les
témoins des mariages, les parrains et les marraines des
différentes générations de Bart appartenaient tous au
milieu corsaire au début comme à la fin du XVIIe siècle
[2]. Le rôle des classes de 1671 porte dix
capitaines ou maîtres de barque dunkerquois ayant Bart comme patronyme et
dix autres en 1674.
Jean Bart naquit le 21 octobre 1650 dans une famille
de maîtres au cabotage et de capitaines corsaires catholiques. On ne sait
presque rien de son enfance mais il est a peu près certain qu'il navigua
d'abord pour le compte des Flamands espagnols et également pour les
Hollandais. Il n'était pas un fils du peuple mais de cette petite
bourgeoisie navigante, si présente en Manche et mer du Nord. Il apprit
à lire et à écrire en flamand mais possédait une
connaissance assez bonne de la langue française, langue de
l'élite et de la bureaucratie dunkerquoise, y compris au temps des
Espagnols.
Comme beaucoup d'autres dunkerquois et de flamands, sa famille
et lui-même furent attirés par les salaires versés par les
Hollandais en paix comme en guerre.
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Jean Bart :
du mousse aux premiers embarquements corsaires |
Selon certains, Jean Bart aurait navigué comme mousse
à l'âge de huit ou dix ans sur un navire de pêche et/ou sur
un caboteur. C'est possible mais ces embarquements ne l'ont pas
empêché d'apprendre à lire et à écrire, puis
à acquérir les connaissances pour passer l'examen de maître
au cabotage. Ou Jean Bart a commencé à naviguer plus tard, vers
12-13 ans comme Duguay-Trouin soit, entre deux embarquements, ses parents ont
veillé à ce qu'il ait continué à recevoir une
instruction.
Il navigua alors principalement entre Dunkerque, la Tamise et
Ostende. Pêcheurs ou caboteurs dunkerquois pratiquaient tous la
contrebande, d'où la connaissance exceptionnelle des bancs et des
courants de la Manche Est par Jean Bart.
Vers seize ans, attiré par les
salaires offerts par les Provinces-Unies, il s'engagea comme novice sur le
vaisseau amiral de Ruyter, les Sept Provinces, lors de la seconde guerre
anglo-hollandaise aux côtés de son ami et cadet de deux ans et
demi, Charles de Keyser. Charles était le fils de Pierre de Keyser,
capitaine dunkerquois. La France pendant la guerre de Dévolution
(1666-1668) était alors alliée de la Hollande, cependant Jean
Bart aurait pu ou aurait dû embarquer sur un navire de guerre de Louis
XIV qui déjà manquait de matelots.
Ruyter accomplit
alors un exploit exceptionnel. Le 21 juin 1667, à la tête de sa
flotte, il remonta la Tamise sur plus de 20 milles, jusqu'à la Medway et
l'arsenal de Chatham. La flotte hollandaise mit le feu à l'arsenal,
brûla le Loyal London, le Royal Oak et le Royal
James, de 70 à 90 canons, 1021à 1230 tons, et s'empara du
navire amiral Royal Charles qui fut ramené triomphalement en
Hollande. Jean Bart resta toute sa vie marqué par cet exploit et proposa
à plusieurs reprises de refaire un raid identique.
En dépit du
retour de la paix, Jean Bart semble avoir continué à naviguer sur
des navires hollandais de 1668 à 1671, mais, en 1672, dès que la
France s'allia à l'Angleterre dans la guerre dite de Hollande
(1672-1678), il semble être revenu dans sa ville natale pour combattre
les Hollandais. Colbert commençait à mettre en place le
système des classes mais les matelots dunkerquois, à la
différence de ceux de Gravelines, Calais ou Boulogne, avaient le
privilège de ne pas être soumis aux classes et étaient donc
dispensés de servir sur un navire de guerre du roi.
Ce choix des
Dunkerquois en faveur de la France et de Dunkerque n'était pas
évident. En effet, contrairement à une légende tenace, la
course se relança difficilement à Dunkerque. Deux corsaires
dunkerquois seulement furent armés en mai 1672. Devant le manque de
navires et de capitaux, l'intendant Hubert demanda à Colbert de
prêter les barques longues royales à partir de septembre [3]. Au total, dix huit armements corsaires eurent lieu
cette année là mais aucun corsaire ne dépassait 100
tonneaux. On ne sait pas avec certitude si Jean Bart navigua en course en
1672.
En 1673, la course progressa à Dunkerque avec 23 armements. Le nombre
de corsaires de 50 à 99 tx doubla avec l'apparition de la
Bonne-Aventure et du Saint-Winnocq, de 60 tx chacun, et de
l'Alexandre de 80 tx. C'est sur ce dernier, commandé par Willem
Dorne, que Jean Bart embarqua en mai comme lieutenant et capitaine de prise [4].
Willem Dorne venait de faire une brillante campagne
sur le Saint-Pierre, probablement le Saint-Pierre de 36 tx, que
l'armateur retira à Jean Van Acker. Dorne ayant été
brillant, ses actionnaires lui confièrent l'Alexandre de 80 tx.
Il est probable que Jean Bart ait d'abord embarqué sur le
Saint-Pierre comme matelot, et que Dorne, l'ayant remarqué, l'ait
promu lieutenant en mai 1673 pour le garder avec lui, car un bon lieutenant
corsaire était très recherché.
Charles de Keyser,
l'ami de Jean Bart, reçut son premier commandement, le
Saint-François-de-Paule, en juin. Il est probable qu'il ait
succédé à Mathieu Van Acker qui commanda un
Saint-François-de-Paule de 60 tx et 5 canons, mais qui n'eut plus
de commandement corsaire ultérieurement. Van Acker était-il
remercié pour mauvaise santé, blessure ou pour insuffisance de
résultats ? Une chose est sûre, d'après mes recherches, 80%
des capitaines corsaires sous Louis XIV n'ont eu qu'un seul commandement en
course. Keyser repartit pour une deuxième croisière en octobre
1673 et, le 9 novembre, s'empara du bélandre le Saint-Pierre [5].
Sous Louis XIV, la durée d'une campagne de
course n'était pas strictement définie. Elle était
plutôt de 4 mois à Saint-Malo mais à Dunkerque elle durait
généralement deux mois et quelquefois moins, rarement trois mois
ou plus, comme le montre l'étude des campagnes de Jean Bart et de ses
compagnons.
On ne connaît pas avec certitude la durée de la
première sortie de l'Alexandre ni les résultats. Il reprit
la mer en octobre pour une deuxième campagne toujours avec Jean Bart.
Willem Dorne s'empara le 6 novembre d'une flûte armée de 12
canons, le Sacrifice d'Abraham, à l'abordage. Jean Bart participa
à cette prise et se distingua en l'amenant à bon port. Avec cette
prise, le nom de Jean Bart apparaît pour la première fois dans les
archives officielles dans le jugement de bonne prise où il est
mentionné comme capitaine de la prise.
Le 14, Dorne
s'empara de la galiote le Roy David appartenant à des marchands
d'Enkhuisen et d'Amsterdam mais Jean Bart ne put participer à cette
capture puisqu'il ramenait le Sacrifice d'Abraham à Dunkerque
où fut également conduit le Roy David. Le 17 novembre,
Dorne s'empara du Bordink, flûte de 500 tx, chargée de
potasses, de peaux d'élan et de castor, venant de Moscovie, et, le 13
décembre, de la galiote les Armes de Terlibe, tous jugés
de bonne prise. À la fin de cette campagne particulièrement
rentable pour les armateurs comme pour l'équipage, Dorne recommanda Jean
Bart à son armateur.
En mars 1674, Jean Bart reçut son premier
commandement : le Roi David de 35 tonneaux et 35 hommes
d'équipage. Il s'agit vraisemblablement de la galiote capturée
précédemment. En effet, le port de Dunkerque était
encombrée par les prises et les coques des navires étaient
à bas prix. Si la galiote était bonne marcheuse, elle
représentait un investissement idéal pour être
confiée à un capitaine débutant.

Portrait de Jean Bart, Archives municipales,
Dunkerque.
<Page
suivante>
[1] : A. Leymaries : " Jean Bart et ses proches ", Mémoires
de la Société Dunkerquoise, 66e volume, p. 9-81 et " Jean Bart et
sa fortune ", Mémoires de la Société Dunkerquoise, 63e
volume, p. 5-88.
[2] : P. Daudruy, Famille
de la marine dunkerquoise, op. cit., p. 37 et suivantes.
[3] : Archives Nationales, fonds Marine B3 12, f° 134-158, 30
juillet-4 septembre 1672.
[4] : Pour
l'organisation de la course, le nombre annuel d'armements à Dunkerque et
les listes de capitaines, cf. P. Villiers, Les corsaires du Littoral de
Philippe II à Louis XIV, Septentrion presses universitaire, Lille,
2001. [5] : Archives Nationales, Conseil du Roi,
E.1775.
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